Photo : Office de Tourisme de Bordeaux / F.Poincet

Projet urbain de Bordeaux : un bilan contrasté

Entrevues avec l’Adjoint au Maire de Bordeaux et le chef du groupe socialiste (opposition) au Conseil municipal

Le nouveau tramway de Bordeaux est au cœur du renouveau urbain de la ville, pour un coût total de l’ensemble du réaménagement de la ville de 2 milliards d’euros (2,82 milliards $) - dont 1 236,9 milliards d’euros pour le tramway (1 745,9 milliards $).
La Mairie estime avoir réussi à recentrer l’agglomération sur le centre-ville et à inverser la tendance démographique des départs du centre vers la banlieue, sans avoir augmenté les impôts locaux depuis 1995, alors que la hausse du tourisme contribue à l’économie locale.
Mais si le volet transports durables du projet fait l’unanimité, le volet humain/social du réaménagement du centre historique notamment est critiqué du côté de l’Opposition au Conseil municipal. La «gentrification» de ces quartiers et le manque d’investissements dans les équipements collectifs suites aux dépenses du projet urbain, la deuxième phase du tramway en particulier préoccupent l’opposition.

Transports durables
Le réseau du tramway atteindra à terme 43,8 km, réparti en trois lignes. Inauguré entre 2003 et 2005 pour la première phase, le réseau sera entièrement terminé d’ici la fin 2008.
Les bordelais semblent avoir adopté ce nouveau mode de transports en commun définitivement durable. Ainsi, en 2006, le tramway a représenté plus de la moitié des voyages sur le réseau de transports en commun de Bordeaux. Parallèlement, la circulation automobile au centre-ville aurait baissé de 22 %, alors que 7 % d’usagers auraient tout simplement abandonné leur voiture, estime la Communauté urbaine de Bordeaux.

Projet urbain depuis 1995
Le réaménagement de Bordeaux émane d’un projet urbain politique, lancé dès 1995 à l’initiative du nouveau maire de Bordeaux, Alain Juppé, explique Michel Duchène, Adjoint au Maire Urbanisme, Transports, Habitat et Démocratie participative. Au cœur du projet figurait «la volonté de recentrer l’agglomération sur le centre-ville» après le constat d’un éclatement du centre au profit de la périphérie.
Le deuxième objectif visait à relier les deux rives de Bordeaux, pour rattacher notamment le quartier de la Bastide sur la rive droite (à l’Est) au reste de la ville née sur la rive gauche.
«La colonne vertébrale de ce projet est le tramway», résume Michel Duchène. La ligne A traverse ainsi transversalement toute l’agglomération et emprunte le pont de Pierre, pour remonter jusque vers les banlieues de la rive droite, Lormont et Cenon.
«Le centre a gagné 20 000 nouveaux habitants», précise l’Adjoint au maire. «Non seulement l’hémorragie démographique [vers les banlieues] a été stoppée, mais elle est inversée.»

Nouveau plan de circulation
De concert avec l’implantation du tramway, le plan de circulation au centre-ville a entièrement été remanié. Certaines grandes artères sont devenues piétonnières tout en accueillant le tramway – dont une partie des lignes bénéficie d’une alimentation électrique par un rail central, une première technique, permettant d’éviter la pollution visuelle des câbles suspendus dans les airs. «Le nouveau plan de circulation a permis de rééquilibrer la ville et de réduire la place de la voiture dans la ville», résume Michel Duchène.

Centre ville semi piéton
Le résultat est un centre-ville semi piétonnier, englobant un secteur à contrôle d’accès aux voitures de 76 hectares. Des bornes télescopiques à carte à puce ne laissent passer que les véhicules des riverains et les livreurs.
Une petite navette électrique dessert aussi ce secteur. «Je me suis inspiré de Rome, où j’avais vu ces petits bus électriques», précise Michel Duchène. Dès 2002, pendant les travaux du tramway, la Ville a ainsi déployé huit navettes électriques d’une capacité de 22 personnes, dont huit assises. Les petites roues et le rayon de braquage sont particulièrement adaptés aux ruelles étroites du centre-ville. Le plancher bas permet également un accès facile, aux personnes âgées notamment.
Les passagers montent et descendent des navettes à la demande, où ils le désirent. Une ligne bleu peinte au sol indique le parcours. «La navette a connu un engouement extraordinaire», constate Michel Duchène. A tel point qu’une fois les travaux du tramway terminé, les habitants se sont mobilisés pour éviter que la navette, temporaire à l’origine, soient maintenue. Un projet de navette fluviale, qui longerait les quais, est également en projet.

Ville à vélo
Dès 2002, La municipalité a également favorisé les déplacements à bicyclette. Dans le centre historique, les rues à sens unique pour les voitures sont à double sens pour les vélos. La Ville a également implanté plusieurs Maisons du vélo, où les habitants peuvent venir emprunter l’une des 4 000 bicyclettes mises à leur disposition gratuitement (avec caution de 200 euros – 282 $). Enfin, tous les premiers dimanches du mois, la bicyclette est la reine de la journée sans voitures mensuelle dans un secteur de 80 ha du centre-ville.

Réaménagement des quais
Autre grand volet de ce plan urbain, le réaménagement des quais a vu la ville s’ouvrir à son fleuve. Les anciennes grilles du port, déplacé en amont, ont a présent disparu, ainsi que les grues de chargement. Deux hangars ont été démolis et cinq autres réhabilités.
«Nous sommes l’une des rares villes en Europe à disposer de 4,5 kilomètres de quais, dont les superbes façades XVIIIe», souligne Michel Duchène, pour qui les quais de Bordeaux sont comparables à la beauté des quais de Vienne, en Autriche.

Restauration du centre historique
La troisième facette de ce projet urbain est une intervention de plus longue haleine : le ravalement des façades des monuments et des maisons du centre historique ainsi que la réhabilitation de nombreux logements insalubres. «Bordeaux redevient la ville blonde, construite en pierre blonde», résume Michel Duchène évoquant au passage l’autre grande métropole du Sud-Ouest de la France, Toulouse, ville rose (car construite en briques de cette teinte).
La Ville annonce, à terme, la création de 2 000 logements. «Nous avons la possibilité d’exproprier les propriétaires qui ne s’occupent pas de leur logement», souligne l’Adjoint au maire.

Financement du projet
L’ensemble de ces travaux a été réalisé sans hausse des impôts locaux depuis le lancement du projet urbain en 1995, rappelle Michel Duchène.
La Ville disposait en effet d’une «cagnotte» destinée à un projet de métro souterrain – mais remis en question notamment car le sous-sol de Bordeaux extrêmement meuble aurait rendu le projet extrêmement onéreux. Une taxe de transport sur les entreprises avait donc été instituée et s’était ainsi accumulée.
«Les travaux de la première phase ont été étalés dans le temps, depuis 1996-97» explique également Michel Duchène, pour un coût de l’ensemble du projet urbain «de 2 milliards d’euros [2,82 milliards $]», (soit deux fois le budget de la communauté urbaine en 2007 d’un milliard d’euros – 1,41 milliards $; le budget annuel de la Ville de Bordeaux s’élève à 347 millions d’Euros en 2007 – 489 millions $).

Autre son de cloche pour l’opposition
Du côté de l’Opposition au Conseil municipal de Bordeaux, le bilan du projet urbain de Bordeaux est plus contrasté. «Bordeaux s’est certes embelli depuis 1995, le classement UNESCO en témoigne», constate Jacques Respaud, Conseiller municipal et Président des élus socialistes de Bordeaux, également Conseiller à la Communauté urbaine et vice-président du Conseil Général [région] «mais c’est le cas de toutes les villes en France, en 10 ans elles se sont toutes transformées.»
L’élu bordelais souligne que le contexte économique et immobilier a grandement contribué à ce renouveau urbain, notamment la baisse des taux d’intérêt. «Alain Juppé est arrivé au bon moment. La Ville s’est désendettée très vite, ce qui a permis ces investissements importants. Mais c’est le cas de beaucoup de villes en France.»

Financement de la 2e phase plus difficile
Évoquant également la «cagnotte» du projet de métro mis en place dès 1990, Jacques Respaud estime toutefois que la seconde phase d’implantation du tramway a entraîné un manque à gagner pour d’autres aménagements de la ville, notamment dans les domaines du logement social et des équipements collectifs.
«Toute la première phase du tramway s’est déroulée de manière complètement indolore, grâce à la cagnotte et à des fonds d’état. Pour la deuxième phase, c’est autre chose. La participation de l’État a baissé et il n’y avait plus de cagnotte. Cela a été financé aux dépends d’autres équipements collectifs, les ZAC [Zones d’aménagement concerté] notamment.»
Les ZAC ou zones d’aménagement concerté sont des zones où une collectivité publique intervient pour aménager ou faire réaliser des habitations, des écoles et autres infrastructures. «Le problème à l’heure actuelle est que la Ville de Bordeaux et la CUB [Communauté urbaine de Bordeaux] n’ont pas d’argent pour financer les ZAC.»
Ainsi, selon l’élu d’opposition, seulement «26 logements sociaux supplémentaires ont été construits à Bordeaux en 2006».

«Gentrification» du centre historique
Le quartier Saint Pierre du Vieux Bordeaux, le premier a avoir été restauré, a assisté à un renouvellement important de sa population, constate Jacques Respaud. «L’établissement indépendant sous l’égide de l’État responsable des travaux a été peu contrôlé, ce qui a entraîné une modification importante de la population et une ‘gentrification’ de Bordeaux. Il y avait avant une population immigrée importante qui a du partir à l’extérieur de Bordeaux.» (Note : interrogée sur ce volet logement du plan urbain, la Ville de Bordeaux n’a pu répondre à temps pour la publication de cet article.)
Le secteur devenu très couru pour ses petits restaurants et autres bars cafés semble également être victime de son succès, selon Jacques Respaud, citant la «création d’une Association des résidents du centre-ville» pour lutter contre «les nuisances nocturnes» inhérentes aux nouveaux commerces.

Les pierres ou les gens?
L’autre parent pauvre de l’aménagement de Bordeaux serait les équipements collectifs, poursuit Jacques Respaud, citant la fermeture en septembre 2007 du dernier terrain de rugby de la municipalité, la baisse du nombre de piscines, le manque de crèches. «À Bordeaux, on finance les pierres, mais pas ce dont les gens ont besoin pour vivre, les équipements collectifs.»
Au bout du compte, le bilan de ce renouveau urbain semble contrasté pour l’opposition au conseil municipal.
«La ville est superbe et Juppé y est pour quelque chose», reconnaît Jacques Respaud. «Le tram, c’est une responsabilité communautaire [CUB], le ravalement des façades, c’est la ville, ainsi que le plan lumière, alors que les quais c’est communautaire. Mais derrière les façades, il y a de profondes inégalités. Sur Bordeaux, c’est la partie sociale qui pose problèmes,» et de conclure : «Bordeaux cache ses inégalités comme au XVIIIe siècle la façade des quais cachait le commerce négrier. Les équipements collectifs et sociaux font gravement défaut à l’heure actuelle.»

Pour en savoir plus
Bordeaux Projets (Ville de Bordeaux) : tramway, centre historique, quais
Carte du réseau du tramway

Vidéo - Les quais de Bordeaux : défilement vu de l'eau (4,05 min.)

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Vidéo - Bâteau sur l'eau : les berges et les quais de Bordeaux (1,11 min.)

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